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17 décembre 2024

À la revue “Quinzaines”, l’exploitation façon 19e siècle

Retour sur les enjeux systémiques d’une lutte syndicale en cours contre la direction de la revue « Quinzaines », entre travail gratuit, ubérisation et mépris patronal.

Depuis plus de trois mois, le Syndicat général du Livre et de la communication écrite CGT est engagé dans une bataille contre la direction de la revue littéraire Quinzaines. L’enjeu ? Rien de moins que la rémunération de correcteurs et de maquettistes ayant participé à la fabrication de numéros de ce journal, qui a pris le relais de la prestigieuse Quinzaine littéraire… Car la directrice de la publication, Patricia De Pas, est connue pour ses pratiques malhonnêtes en la matière : des paiements qui ne viennent jamais, ou qui tardent beaucoup trop (jusqu’à plus de neuf mois !). Rien d’extraordinaire, hélas, dans le monde du travail… Mais l’affaire est emblématique de la précarité qui frappe les métiers du Livre, a fortiori quand les patrons recourent au statut de microentrepreneur pour « encadrer » leur exercice.

Rappelons déjà ce qui devrait être une évidence : faire travailler un maquettiste ou un correcteur sous le statut de microentrepreneur dans la presse est illégal. La loi Cressard de 1974 stipule, en effet, que les métiers du journalisme relèvent du salariat : « Toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. » Or, il y a belle lurette que les correcteurs et les maquettistes sont assimilés à des journalistes professionnels et qu’ils ont intégré la grille de classification des métiers du journalisme : les uns sont dénommés « rédacteurs-réviseurs », les autres « rédacteurs-graphistes ».

Sans doute la direction de Quinzaines n’ignore-t-elle pas cette loi, mais l’occasion est trop belle, pour elle, de dévoyer le statut de microentrepreneur et de déguiser ainsi une relation de travail salariée. Et on comprend vite pourquoi au regard des pratiques en vigueur au sein de cette entreprise… Car ne pas payer un salarié est autrement plus compliqué que de ne pas rémunérer un microentrepreneur… Là où le salarié peut compter sur une action en référé devant un conseil de prud’hommes (procédure plutôt rapide et efficace), le microentrepreneur, lui, ne peut s’en remettre qu’aux ordonnances d’injonction de payer délivrées, via un huissier de justice, par le tribunal de commerce. Des ordonnances auxquelles le faux client-vrai patron peut faire opposition, surtout si, comme on le voit hélas trop souvent, il n’existe pas de bon de commande ou de devis signés, et si les traces du travail effectué sont rares (d’où l’importance de laisser des traces écrites et d’éviter au maximum les échanges oraux)… De fait, c’est bien connu, le salarié est mieux protégé que le faux indépendant. Jamais un patron ne pourrait sereinement payer son salarié avec neuf mois de retard, mais c’est un classique que connaissent beaucoup de microentrepreneurs, et une pratique contre laquelle ils sont bien souvent désarmés.

Ce n’est pas là le seul avantage pour le patron de recourir au microentrepreneuriat plutôt qu’au salariat. Le respect de la loi vaut peu de choses en comparaison des promesses de l’ubérisation pour les employeurs voyous : si le lien de subordination est préservé (le donneur d’ordre donne… des ordres, fixe le tarif et les délais), tous les garde-fou du salariat disparaissent (Code du travail, convention collective, accord d’entreprise, prud’homie…). Tout ce que le mouvement ouvrier et syndical a construit par ses luttes au fil des décennies pour sécuriser au mieux les travailleurs et travailleuses dans le cadre de leur exploitation vole en éclats. Et on en arrive sans peine à des situations comme celle que connaissent aujourd’hui plusieurs correcteurs et maquettistes de la revue Quinzaines : une relation de travail à la tâche, rémunérée avec énormément de retard, voire pas du tout, une directrice qui les ignore, eux et le syndicat qui intervient pour les rétablir dans leur bon droit, et des recours en justice complexes, onéreux et qui produisent peu d’effet. Ajoutez à cela des menaces de procès en diffamation envoyées anonymement… et vous aurez un aperçu de ce que les idéologues libéraux et leurs valets politiques rêvent de généraliser à l’ensemble de la classe laborieuse, pour liquider les acquis de près de deux cents ans de résistance ouvrière.

Faire dérailler ce train de l’enfer est une nécessité, et une urgence. Le mouvement syndical, qui n’ignore plus les enjeux qu’il y a derrière ces combats, doit se mettre en ordre de bataille pour accompagner les victimes de l’ubérisation et repenser certains de ses modes d’action pour être plus efficace. Voire renouer avec certaines des pratiques qui firent les belles heures du syndicalisme, en particulier le sabotage, le boycott et le grabuge… Les patrons veulent nous faire revenir au XIXe siècle ? Ressortons donc du grenier ces vieux outils que des décennies d’institutionnalisation du syndicalisme nous ont fait oublier.

D’ici là, n’hésitez pas à faire part à la direction de Quinzaines de votre indignation à propos des mauvais traitements qu’elle inflige à des correcteurs et maquettistes, en écrivant à contact@la-nouvelle-quinzaine.fr et à redaction@la-nouvelle-quinzaine.fr.

Guillaume Goutte
Secrétaire délégué

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