Nous avons rencontré le Syndicat des écrivains de langue française (SELF). L'occasion d'un long entretien sur les relations au travail entre ces deux métiers de l'édition et, bien sûr, les luttes des uns et des autres et les ponts que l'on peut (doit ?) construire entre elles.
À propos de la protestation des auteurs face aux abus du SNE
Les auteurs ont massivement protesté récemment[1], lors du dernier salon du Livre (Livre Paris 2018), contre le SNE qui négligeait jusque-là de rémunérer leurs diverses prestations, ou avait l’air de considérer en tout cas que leur participation aux tables rondes, ateliers, conférences diverses, ne méritait pas la moindre rétribution. De là, le hashtag et la pétition #PayeTonAuteur, qui a réuni une bonne partie des auteurs invités autour d’une revendication : le temps passé à faire le succès d’un tel salon doit aussi leur revenir, en espèces sonnantes et trébuchantes. Le SNE a obtempéré de justesse, de crainte d’une très mauvaise publicité pour lui.
Les correcteurs CGT : Comment expliquez-vous cette grogne des auteurs, qui avaient déjà manifesté leur mécontentement, il y a quatre ans, contre leur précarisation, au salon du livre de Montreuil ? Et comment interprétez-vous l’attitude du SNE ?
Le SELF : Depuis les premières manifestations de mécontentement, la colère n’a fait que monter face au refus de nombreux festivals subventionnés par le CNL de rémunérer les prestations publiques (tables rondes, conférences, lectures et ateliers) des auteurs invités. L’amplification du mouvement #PayeTonAuteur lors de Livre Paris 2018 a été telle que le SNE (co-organisateur) a craint l’appel au boycott général du salon qui menaçait de sanctionner son refus de payer les auteurs. La mobilisation de nos organisations professionnelles et la médiatisation dont a bénéficié #PayeTonAuteur ont contribué à ce résultat positif. On peut supposer, d’ailleurs, que certains éditeurs présents au Salon du livre, effrayés par cette mobilisation qui les menaçait d’une défection de leurs auteurs en signature et débats, ont fait pression sur le SNE dans le sens de la rémunération.
Les correcteurs CGT : Qu’en est-il de cette grogne aujourd’hui ? La confiance est-elle entamée chez les auteurs ?
Le SELF : Au contraire. Dans l’esprit des auteurs, ce succès ne peut qu’en appeler d’autres. On l’a encore vu tout récemment aux Imaginales d’Épinal, où le refus du festival d’appliquer les tarifs définis par le CNL a fait grand bruit. Il semble d’ailleurs qu’en raison de ce refus, la Sofia ne versera pas aux Imaginales la subvention prévue pour cette année. Et que le CNL envisage le même genre de sanction pour tous les festivals qu’il finance et qui seraient tentés de déroger aux règles qu’il a fixées.
Les correcteurs CGT : Comment les auteurs se fédèrent-ils, eux qui, comme les correcteurs, sont des travailleurs de l’ombre ?
Le SELF : Nous sommes tout de même moins des « travailleurs de l’ombre » que ne le sont les correcteurs. En festival, dans les séances de dédicace par exemple, c’est bien pour nous que les lecteurs se déplacent. Les éditeurs pourraient faire les plus beaux livres du monde, si les lecteurs n’y trouvaient pas en premier lieu le fruit du travail des auteurs, la chaîne du livre tout entière s’effondrerait aussitôt. Après, les auteurs étant dans la plupart des cas très isolés et plutôt individualistes, il n’est pas facile de les fédérer. Ces derniers temps, on y parvient cependant sur les questions liées à leur statut social et qui conditionnent leur avenir. Même le plus irréductible des individualistes est forcé d’admettre que sur ces sujets, la « résistance » ne peut être que collective.
Les correcteurs CGT : Ont-ils le sentiment d’être une donnée comme une autre dans la logique économique, de plus en plus prédominante, dans le secteur de l’édition comme ailleurs ?
Le SELF : Effectivement, cette conscience ne cesse de s’accroître. En raison notamment de cette logique économique (voire purement financière) qui a désormais envahi le secteur, où ce sont les commerciaux et non plus les responsables éditoriaux qui dictent leur loi, uniquement basée sur la « rentabilité du produit ». Plus personne ne peut croire aujourd’hui au mythe de l’auteur perché sur son petit nuage rose ou retranché dans son palais doré. Tout auteur publié finit par se rendre compte qu’il est avant tout un travailleur – indépendant certes, et non soumis à un lien de subordination vis-à-vis des éditeurs, mais indéniablement un travailleur parmi tous ceux qui dépendent de la chaîne éditoriale.
Les correcteurs CGT : Comment vivent-ils l’accélération de production du livre ? Le livre est-il devenu un objet de consommation comme un autre, selon eux ?
Le SELF : Cette accélération de la production des livres, dont certains n’arrivent même pas sur les tables des libraires, est devenue parfaitement délétère pour les auteurs : la réduction drastique des tirages associée à la multiplication des titres aboutit à cette triste constatation : aujourd’hui, même des auteurs qui ont un lectorat n’arrivent plus à vivre de leur plume. Quant à ceux qui débutent, ils n’ont presque aucune chance de rencontrer un public. En revanche, les éditeurs, eux, vivent sans problème du travail des auteurs. Pour les plus gros, qui sont aussi diffuseurs et distributeurs, il leur suffit de faire circuler les livres. Il n’en reste pas moins que pour tout auteur, même si pour exister son travail doit transiter par le biais de l’Édition par la cession des droits d’exploitation, ses livres sont ses « enfants ». Difficile de les considérer comme des objets de consommation comme les autres.
Les correcteurs CGT : Comment les auteurs se préparent-ils aux annonces du gouvernement et notamment à la réforme du régime social et fiscal qui risque d’affecter davantage leur statut et les précariser?
Le SELF : Là aussi, personne ne pouvant nier que les prérogatives des individus se voient balayées par les intérêts collectifs au centre des enjeux, la mobilisation se renforce de jour en jour. On l’a vu lors de la première session des États généraux du livre (22 mai dernier) qui a suivi le succès rencontré par le hashtag « Auteurs en colère » et la pétition liée. Ça n’était pas gagné d’avance, mais la prise de conscience a été suffisamment forte pour qu’aujourd’hui le gouvernement prenne à son tour conscience qu’il y a comme un problème du côté de nos professions et de nos statuts, qu’on s’évertuait jusqu’alors à « détricoter » petit à petit. La partie est cependant loin d’être gagnée pour nous, mais la mobilisation ne devrait pas faiblir jusqu’à ce qu’on connaisse les résultats précis de ce qui nous attend avec les réformes sociale et fiscale qui entreront en vigueur début 2019. Une réunion différée depuis pas moins de cinq ans aura lieu le 21 juin entre l’ensemble des organisations professionnelles des artistes auteurs et les représentants des trois ministères directement concernés par ces projets de réformes. Il est temps de se mettre au travail sur ces sujets, auxquels les représentants des artistes auteurs ne demandent qu’à apporter leur contribution !
Les correcteurs et lecteurs-correcteurs (organisés dans le Syndicat général du Livre et de la Communication écrite CGT, dans le collectif Correcteurs précaires ou dans la CFDT) ont soutenu les auteurs en relayant notamment leur mécontentement, auteurs qu’ils connaissent bien, avec qui ils travaillent, au sein des maisons d’édition. Le statut des correcteurs est depuis de longs mois en discussion avec le même SNE sans qu’aucune solution satisfaisante soit trouvée au point que l’exercice de leur métier semble à terme menacé (pour rappel : les correcteurs d’édition sont salariés mais payés à la tâche, ce qui signifie qu’ils ont des salaires fluctuants indexés sur les variations de la production éditoriale, contrairement à tous les autres salariés sur site). Ils sont en outre actuellement confrontés au problème de la micro-entreprise, régime qui non seulement concurrence leur statut mais est une aubaine pour les patrons de l’édition puisqu’ils n’ont pas à s’acquitter des cotisations salariales. Pour les correcteurs salariés, c’est une forme d’ubérisation de leur métier et une perte d’emploi pour eux.
Les correcteurs CGT : Que pensez-vous de cette dégradation des conditions de travail des correcteurs d’édition ?
Le SELF : Le SELF a toujours été et restera solidaire des luttes des correcteurs et lecteurs correcteurs pour l’obtention d’un meilleur traitement de la part de leurs employeurs. Pour la bonne et simple raison que votre travail ne fait que bonifier le nôtre. Il nous paraît donc indispensable d’appuyer vos revendications. Le travail que les correcteurs fournissent est irremplaçable et le glissement actuel vers l’ubérisation de leurs tâches est inacceptable.
Les correcteurs CGT : Les auteurs ressentent-ils une transformation du travail avec les correcteurs ? Ont-ils notion de cette transformation ?
Le SELF : Question moins simple qu’elle n’en a l’air. Tout dépend du degré de professionnalisation de l’auteur. Par exemple, un débutant ne prend souvent conscience qu’après coup et sur le texte imprimé, de l’utilité de la correction – et encore plus, malheureusement, quand il lui apparaît qu’elle n’a pas été faite ! Même chose d’ailleurs pour le lecteur : s’il lui est difficile d’avoir conscience de l’utilité du travail du correcteur, il s’en apercevra « en creux » lorsqu’un livre lui tombera des mains parce qu’il est truffé de coquilles. Pour en revenir au ressenti de l’auteur, il y a deux étapes à considérer : celui où il reçoit ses épreuves et se demande parfois quelle mouche a piqué le correcteur quand celui-ci, sans concertation, s’est permis de changer telle ou telle chose à son « bébé » ou, au pire, quand il ajoute à son texte quelques fautes que lui-même n’avait pas commises. Mais la plupart du temps, les correcteurs sont respectueux des textes, et leurs interrogations permettent à l’auteur d’aboutir à une meilleure version de son travail. Un auteur professionnel aura toujours un jugement plus objectif sur la nécessité de la correction…
Les correcteurs CGT : Pensez-vous qu’il pourrait y avoir une convergence de ces luttes et revendications ?
Le SELF : Difficile d’avoir une convergence dans la mesure où auteurs et correcteurs n’ont pas du tout le même statut. En revanche, un soutien actif est indispensable : les auteurs voient déjà, quand leurs livres sont publiés, la dégradation de la correction.
À propos du lien auteur / lecteur-correcteur / correcteur
Jérôme Garcin, comme beaucoup d’autres auteurs, connaît bien l’implication et l’importance du travail des correcteurs sur les textes. Il a relayé l’inquiétude des correcteurs auprès de la ministre de la Culture (interview dans Le Nouvel Observateur) en lui rappelant la lettre qu’ils lui ont écrite et à laquelle elle n’a toujours pas directement répondu.
Les correcteurs CGT : La perte ou la mise à mal de cette compétence reliée à la fabrication des livres inquiète-t-elle, selon vous, nombre d’auteurs ?
Le SELF : Évidemment, même si, assez souvent, l’auteur peu professionnalisé ne s’inquiète à ce sujet que lorsqu’une critique fait état de nombreuses coquilles dans son texte, ou quand un lecteur pointe du doigt ces mêmes failles.
Les correcteurs CGT : Est-ce que les auteurs sont prêts à se passer de la collaboration des correcteurs traditionnels des maisons d’édition?
Le SELF : Ce serait aussi absurde que de vouloir se passer, à l’autre bout de la chaîne du livre, du travail des libraires.
Les correcteurs CGT : Comment les auteurs appréhendent-ils le travail des correcteurs ? Font-ils bien la distinction entre un lecteur-correcteur (préparateur de copie ou réviseur de manuscrit) et un correcteur (relecteur d’épreuves) ?
Le SELF : Là aussi, tout dépend du degré de professionnalisation des auteurs, mais aussi de l’existence ou non d’une relation directe entre eux et, surtout, le lecteur-correcteur quand il existe. En fait, ce travail de révision du manuscrit devrait être fait par le directeur littéraire. Dont on constate trop souvent que les éditeurs lui demandent aussi de préparer la copie. Lorsqu’une telle relation se noue, il va de soi que l’auteur est mieux à même de se rendre compte du travail fourni en aval du sien. On imagine bien dans ce cas que l’auteur pourra juger de l’importance de ce lecteur correcteur, dans la mesure où il va lui permettre une vraie progression de son texte. Les échanges sont alors indispensables.
Les correcteurs CGT : Ont-ils toujours directement affaire à eux dans le processus de fabrication du livre ?
Le SELF : Là aussi, difficile de généraliser. Toujours : non. C’est plus souvent avec le directeur de collection, ou encore avec le directeur littéraire que l’auteur établit un lien direct.
Sur la perception du travail des correcteurs et lecteurs-correcteurs
Les auteurs / les correcteurs ont rendez-vous au cœur de la langue, pour un travail minutieux, un travail occulté dont ils sont les seuls témoins et que le public soupçonne à peine. Nicolas Dickner, un auteur québécois, a écrit un petit texte drôle et pertinent — et un peu inquiétant ! — sur le travail des « réviseuses ». Il souligne aussi, dès le titre, qu’à plus de 60 % (à confirmer) les lecteurs-correcteurs d’édition sont des lectrices-correctrices et les correcteurs d’édition des correctrices.
Les correcteurs CGT : Est-ce à votre avis la perception générale qu’ont les auteurs ?
Le SELF : On sait, nous, syndicalistes, que vos professions sont aujourd’hui largement féminisées. Tout comme celles de l’édition en général. Les auteurs dans leur ensemble sont-ils bien informés à ce sujet ? Tout dépend des cas, encore une fois. Cela dit, tout écrivain ayant été confronté, au moins une fois, au professionnalisme imparable d’une correctrice (le plus souvent) doit avoir à peu près la même opinion que Nicolas Dickner.
Les correcteurs CGT : Les auteurs imaginent-ils pouvoir se passer purement et simplement de cet échange, de ce travail ?
Le SELF : Comme déjà dit, ils prennent d’autant plus conscience de son importance quand ils s’aperçoivent… qu’il n’a pas été fait ! Imaginer pouvoir s’en passer, non, sûrement pas.
Les correcteurs CGT : Comment mesurent-ils l’apport des correcteurs ? Dans quels termes en parlent-ils en général ?
Le SELF : Déjà dit aussi : il y a deux stades d’appréciation du travail du correcteur par l’auteur. Son ressenti, souvent purement émotionnel au moment où il reçoit les épreuves corrigées peut être très différent du jugement plus objectif qu’il pourra émettre par la suite, avec davantage de recul. Certains auteurs, cependant, conscients comme Nicolas Dickner de leurs défaillances, avouent facilement ce qu’ils doivent à leurs correcteurs.
Les correcteurs CGT : Que reste-t-il du lien auteur-correcteur dans la logique économique actuelle ?
Le SELF : Là aussi, tout dépend de la façon dont travaille… l’éditeur. Et s’il permet ou non qu’un lien effectif s’établisse entre l’un et l’autre. Il semble aller de soi que l’éditeur acquis à la pure logique financière fera peu de cas d’un tel lien : son objectif est notamment d’occuper la plus large surface possible en librairie. Alors que celui qui se préoccupe avant tout de la qualité éditoriale de ses produits sera plus enclin à permettre qu’un lien direct s’établisse entre auteur et correcteur.
Pour le SELF, Christian Vilà et Joëlle Wintrebert, conseillers à la présidence
[1] « Nous saluons le formidable mouvement collectif initié par la Charte des auteurs jeunesse et le SNAC BD avec, entre autres, #PayeTonAuteur, auquel la SGDL a apporté son concours dans le prolongement de son action en faveur d’une rémunération de tous les auteurs pour leurs interventions. Il est essentiel que les auteurs, sans lesquels les livres n’existeraient pas, soient rémunérés dès lors qu’ils sont invités dans le cadre d’une rencontre publique. C’est une étape importante à l’heure où l’ensemble de nos organisations travaille sur de nombreux dossiers complexes et décisifs pour les auteurs (CSG, réforme du statut social, retraite, partage de la valeur, etc.). »
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