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20 octobre 2022

Stop à l’ubérisation des correcteurs et des correctrices dans l’édition de livres !

Revendication des actions de collage contre le Syndicat national de l’édition et le groupe Editis. Premier round. 

Ces dernières années, les livreurs à vélo et les chauffeurs VTC ont mis en lumière un modèle économique ultralibéral fondé sur l’exclusion du salariat de milliers de travailleurs et travailleuses par le truchement du statut de microentrepreneur, apparu en 2009 sous Sarkozy. Si ces prolétaires du bitume sont bien visibles, ils ne sont pas les seuls concernés par cette destruction du salariat, qui se traduit par une précarité extrême.

Dans l’édition de livres, les correcteurs et les correctrices, chargés de la relecture des ouvrages avant publication, ont été ubérisés avant l’heure. D’abord payés en droits d’auteur – ce qui n’est pas du salaire et a été jugé illégal par les prud’hommes –, beaucoup ont ensuite été forcés de prendre le statut de microentrepreneur pour continuer à travailler et se sont retrouvés exclus du salariat et de ses garanties sociales.

Pourtant, un statut salarié très précaire existe déjà pour les correcteurs de l’édition, entériné par la convention collective nationale de l’édition : celui de travailleur à domicile (TAD) payé à la tâche, un statut honteux, qu’on croirait hérité du XIXe siècle, par lequel la rémunération du salarié dépend uniquement du travail que lui fournit l’employeur qui n’a aucune obligation en la matière ! Mais ce n’était pas assez précaire pour la plupart des patrons de l’édition, qui rêvaient d’un statut qui échappe aussi au droit du travail !

Absence de cotisations sociales, de rémunération minimale, de représentation syndicale, de justice prud’homale, non-application du Code du travail, de la convention collective et des accords d’entreprise : la microentreprise est du pain bénit pour les employeurs voyous et un cauchemar pour les correcteurs et les correctrices à qui elle est imposée.

Qu’elle soit imposée ou choisie, la microentreprise est, pour la majorité des correcteurs, une fausse indépendance. La relation de travail répond moins aux règles du contrat commercial qu’à celles du salariat en matière de subordination et de rémunération : il est rare que le correcteur fixe lui-même son tarif, des consignes et des délais stricts lui sont imposés, son travail est parfois tracé, toujours contrôlé, et il peut être viré sans autre forme de procès qu’un mail lapidaire.

Pis, nombre de maisons d’édition recrutent leurs correcteurs microentrepreneurs comme elles recruteraient des salariés, exigeant des lettres de motivation et des curriculums vitae ! Dans l’entreprise, la relation de travail du correcteur microentrepreneur est d’ailleurs souvent encadrée par les mêmes relais hiérarchiques que les salariés. Il s’agit, ni plus ni moins, de salariat déguisé. Un « salariat » où le correcteur ne bénéficie pas de la protection du Code du travail et des accords collectifs, où il paye lui-même les cotisations patronales, où il ne cotise pas à l’assurance chômage, ce chômage qu’il peut pourtant rejoindre d’une minute à l’autre, sans la moindre indemnité. Et le tout pour un revenu maigre, fixé généralement sur la base du net versé aux correcteurs salariés, mais auquel le microentrepreneur devra retirer ce qu’il versera au titre des cotisations sociales (intégralement à sa charge) et ce qu’il provisionnera pour s’offrir des congés payés, une retraite à taux plein, une mutuelle. À la fin, le microentrepreneur n’aura la jouissance directe, au mieux, que de la moitié de ce qu’il aura facturé et, en plus, aura perdu tout droit d’aller-retour avec Pôle emploi.

Le microentrepreneuriat est aussi un outil pour déréglementer le droit du travail dans la branche de l’édition de livres et tenter de tirer vers le bas les exigences de justice sociale des organisations syndicales. On l’a vu lors des négociations autour de la refonte de l’annexe IV de la convention collective nationale de l’édition, en 2017 et 2018. À plusieurs reprises, le Syndicat national de l’édition (SNE) a tenté de justifier ses refus de sécuriser réellement le statut de TAD en arguant qu’un statut trop sécurisé encouragerait les employeurs à recourir à des microentrepreneurs. Autrement dit, déprécariser les correcteurs salariés payés à la tâche reviendrait à les pousser dans les bras d’un statut encore pire ! Le même argument peut être avancé lorsqu’il s’agit de discuter d’une revalorisation de la grille des salaires minima. On le retrouve aussi dans le « dialogue social » de certaines entreprises, où l’on menace implicitement les salariés trop revendicatifs de recourir à la microentreprise. Ou comment le microentrepreneuriat justifie toutes les régressions sociales et enterre les acquis.

L’ubérisation a détruit nos conditions de travail et de rémunération, c’est une menace grave pour notre métier, dont l’attractivité s’amoindrit d’année en année. Depuis des années, la CGT alerte les employeurs sur les conséquences de ces pratiques, sans que rien ne bouge pour autant : les patrons font l’autruche, font semblant de ne rien voir, alors que, dans leurs entreprises, ils poussent les derniers correcteurs salariés vers la sortie pour les remplacer par des microentrepreneurs corvéables à merci. Le monde de l’édition de livres est un univers cynique, où l’on frime dans les salons en parlant de liberté, d’émancipation et de culture, mais où, en coulisse, on met en œuvre une exploitation ultralibérale sauvage de celles et ceux qui concourent à la fabrication des livres.

Par cette action de collage, le Syndicat général du Livre et de la communication écrite CGT entend visibiliser cette exploitation et les luttes qui s’organisent pour la combattre. Ce n’est qu’un début, et nous sommes déterminés à continuer. Jusqu’à l’éradication de ces statuts d’un autre âge, qui broient des vies et menacent des métiers importants dans la chaîne du livre.

Paris, le 20 octobre 2022

 

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