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11 juillet 2024

L’intelligence artificielle est-elle une menace pour les correcteurs ?

Menace ou évolution à cerner ? L’intelligence artificielle, qui connaît un développement tous azimuts ces dernières années, pourrait bousculer notre métier. Engager la réflexion à son sujet est urgent et nécessaire. Ce premier texte est l’amorce d’une discussion syndicale sur le sujet.   

Et si l’on se retrouvait bientôt à corriger des textes écrits par des intelligences artificielles (IA) ? C’est loin d’être farfelu. Les médias ont beaucoup parlé ces derniers temps de ChatGPT et de Midjourney, deux outils qui reposent sur l’IA pour respectivement écrire des textes et créer des images à la demande, avec quelques consignes. Pour beaucoup, ces deux programmes sont capables de prouesses qui conduiront dans un futur proche à une certaine automatisation de la production écrite ou graphique. Derrière, c’est donc toute l’industrie du livre et de la presse qui pourrait être secouée par l’IA. Sans céder à la panique, il faut s’intéresser à ces nouveautés, pour les comprendre, imaginer leurs effets et commencer à y répondre s’ils nuisent à nos métiers.

De prime abord, les résultats de ChatGPT peuvent paraître bluffants. Il y a fort à parier que des entreprises peu exigeantes se satisferont de l’IA pour des productions écrites de faible qualité. Selon Le Monde, « des premiers déploiements ont déjà lieu. Et les géants du numérique – Microsoft, Google, Amazon ou Meta – poussent ces technologies » (1). Pour l’instant, l’utilisation de ChatGPT semble surtout se limiter à de petits travaux internes à la vie des boîtes – mails, comptes-rendus, présentations… –, mais elle pourrait s’étendre à de nombreuses tâches, y compris la rédaction professionnelle, d’articles ou autres. Anticipant cette évolution, le groupe de presse Alex Springer (Die Welt, Bild), en Allemagne, a déjà annoncé le 28 février des suppressions d’emplois dans ses rédactions, touchant « les domaines de la production, de la mise en page, de la correction et de l’administration » (2).

Pourquoi la correction ? Car il est possible de demander à ChatCPT de corriger un texte, en effet. Là encore, les essais sembleront peut-être convaincants à des non-professionnels. L’IA repérera des erreurs courantes d’orthographe, d’accord ou de ponctuation et certaines incohérences. On peut même penser que ChatGPT repousse certaines limites de logiciels comme ProLexis, car le programme est entraîné en permanence à partir de gigantesques bases de données, dans lesquelles il puise règles, informations, exemples et contexte. Pourtant, à l’instar des innombrables logiciels de correction déjà existants, les limites de l’IA apparaissent vite quand on creuse. Tant sur l’information en elle-même, où ChatGPT est facilement berné, que sur des cas grammaticaux complexes ou la typographie. Parfois le programme va aussi trop loin (le remplacement du « d’ores et déjà » par « déjà » dans le cas ci-dessus) ou perd tout simplement les pédales.

Enfin, on constate aussi des biais (il supprime les grossièretés ou les descriptions violentes, notamment) et un style plat, voire bancal syntaxiquement. De fait, les expérimentations mettent en avant le besoin crucial de relecture de ce que fait l’IA : il faut « repasser derrière » le robot, disent les personnes interviewées par Le Monde. Paradoxalement, le recours à ChatGPT ou à des programmes similaires pourrait donc même apporter du travail supplémentaire – et particulier ! – aux correctrices et correcteurs…

Alors que l’intelligence artificielle est parfois présentée comme une nouvelle révolution industrielle, le métier de la traduction offre déjà de premières leçons, lui qui s’est confronté à de puissants outils d’IA comme DeepL il y a plusieurs années déjà. Selon The Conversation, « même si la traduction neuronale est désormais bien rodée, le sens de nombreux textes n’en demeure pas moins encore impénétrable pour les machines. C’est ainsi qu’a émergé depuis 2016 un nouveau métier qui consiste à réviser les traductions automatiques. Cette opération s’appelle la post-édition. (…) La révision par un être humain fait même partie des normes de qualité de la traduction » (3). Les auteurs québécois de l’article jugent que la traduction a survécu à l’IA, et qu’il en sera sûrement même d’autres métiers mis au défi par elle.

En résumé, il ne faut pas négliger les risques charriés par ces innovations, en particulier celui d’une « précarisation des travailleurs, sur lesquels il sera plus facile de faire pression en jouant sur la peur de la concurrence avec l’IA », comme le relève Gerald Holubowicz, journaliste et consultant interrogé par un apprenti correcteur de l’Ecole des métiers de l’information (4). Des patrons peu scrupuleux sur la qualité de la production, mais très regardants sur les profits dégagés, recourront sans aucun doute à l’IA pour économiser encore une fois sur la main-d’œuvre ou accroître leurs marges.

Il nous appartient de surveiller ces outils, ceux d’aujourd’hui et ceux qui naîtront demain, de suivre leurs améliorations et de nous préparer à lutter contre les discours qui feraient de l’IA le nouveau futur de l’écriture et de l’édition de textes, au prix d’un low-cost créatif, industriel et social. Correctrices et correcteurs ont surmonté l’informatisation, les crises et pseudo-crises de l’imprimé et n’ont toujours pas été remplacé(e)s par les « miraculeux » logiciels de correction. Sans ignorer avec dédain l’IA, rappelons sans cesse que nous ferons toujours mieux que des robots ! Et s’il le faut, nous créerons ChatCGT, l’IA au service de la classe travailleuse.

Luc Le Digabel
Section des correcteurs du SGLCE-CGT

 

1. Jules Thomas, Alexandre Piquard, Nicolas Six, Corentin Lamy, Louis Adam, Vincent Fagot et Julia Paret, « De ChatGPT à Midjourney, les intelligences artificielles génératives s’installent dans les entreprises », Le Monde, 25 avril 2023.

2. « Le groupe de médias allemand Axel Springer invoque l’intelligence artificielle pour supprimer des postes », Le Temps, 28 février 2023.

3. Jean-Hugues Roy, Eric Poirier, « La traduction a survécu à l’IA. D’autres métiers qui semblent menacés par ChatGPT survivront aussi », The Conversation, 1er mars 2023.

4. Emmanuel Doridot, « L’orthotypographie face à l’intelligence artificielle comme modèle de traitement du langage », blog des correcteurs de l’EMI, https://medialibre.info/correcteur/, 24 avril 2023.



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