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Alors que les éditeurs de presse mettent aujourd'hui tous leurs espoirs dans le numérique, un paradoxe s'impose : le support rêvé échappe encore à la plupart des métiers qui, dans la chaîne graphique, travaillent sur la qualité des productions. C'est notamment le cas de la correction, étape essentielle et pourtant encore très largement absente des publications Web des grands quotidiens nationaux et régionaux. Retour syndical sur une absurdité. 

Depuis des années, les grands éditeurs de presse prophétisent la fin du papier et le proche avènement du tout-numérique. À les entendre, l’information ne s’écrira bientôt plus que sur Internet et le papier n’intéresserait déjà plus grand monde. La chute libre des ventes en kiosques, l’érosion des abonnements, l’arrêt de grands titres emblématiques seraient autant de signes que la presse papier est condamnée.

Depuis, ce discours catastrophiste a montré ses limites ; non seulement le papier est toujours là, mais de nouveaux titres naissent en faisant l’option d’une diffusion en kiosques. Pire, il semblerait que les annonceurs – nerf de guerre de la presse… – rechignent toujours à investir vraiment dans les supports numériques. Au final, un constat s’impose : c’est toujours le papier qui fait entrer les sous. Et on est en droit de se demander si les prophéties numériques n’ont pas surtout servi à justifier les plans sociaux. La preuve, récemment, à L’Équipe, où le PSE à l’œuvre tente d’asseoir sa légitimité sur la transition numérique.

Il n’est pas question, ici, de remettre en cause la nécessité qu’il y a, notamment pour les grands quotidiens, à réfléchir à comment investir ce vaste monde qu’est Internet. Le Web, sur lequel l’on se promène désormais avec bien des supports (ordinateur, tablette, téléphone), a bouleversé certaines habitudes de consommation de l’information – sans pour autant faire table rase des anciennes. Mais les choix opérés jusque-là par la plupart des éditeurs de PQN et de PQR sont inconsistants et empêchent un déploiement réussi de leurs titres dans un espace déjà saturé par les offres d’information.

Les politiques sociales affichées à l’égard des services de la fabrication des titres papier – imagerie, correction, secrétariat de rédaction – sont assez révélatrices de ces errements et de ces erreurs. Car les éditeurs de presse ont avant tout vu dans le numérique un moyen de s’affranchir des « coûts » de ces services qui, pourtant, se trouvent au cœur de la qualité des productions. Comme si le lectorat du Net était plus permissif, moins exigeant que celui du papier. Comme si le lecteur qui s’offusque d’une faute d’accord dans un article du quotidien qu’il achète en kiosque ne trouverait rien à redire à un nom propre écorché dans le titre d’un article du site Web.

Grâce aux réseaux sociaux, et à Twitter en particulier, ce préjugé a été battu en brèche. Et, aujourd’hui, il n’est pas rare que les sites Web des journaux deviennent la risée du Net à la suite de fautes d’orthographe relevées dans les articles publiés. De fautes d’orthographe, mais aussi, et surtout, d’informations erronées ! Car le correcteur n’est pas seulement celui qui veille sur la typographie, l’orthographe, la grammaire, la conjugaison et la syntaxe des textes ; le correcteur, c’est aussi celui qui vérifie, dans la mesure du possible, les informations sensibles avancées par les journalistes. C’est l’ultime vigie de l’information. Et à l’heure des fake newset des révélations qui se répandent à grande vitesse, ce n’est pas un luxe, pour une presse qui se rêve en défenseuse des vérités, que de se l’offrir !

La réussite de l’implantation sur le Net des grands journaux passera par un investissement des entreprises dans leurs services de fabrication, notamment dans les cassetins de correcteurs, dont ils doivent étendre le périmètre aux supports numériques. La plus-value que ces travailleurs-là apportent au travail des « journalistes rédigeants » contribuera à faire émerger ces titres de la masse grouillante d’informations qui pullule sur Internet. Sans ces personnels dits « techniques », la transition numérique de la PQN et de la PQR ne se fera pas ou sera un lamentable échec. Le Mondel’a compris il y a plus d’une décennie, et son site Internet bénéficie aujourd’hui de son propre service de correction ; la différence avec ceux d’autres titres est criante. Croire que l’on peut trouver un modèle économique viable en sabrant dans les effectifs de la fabrication est incompréhensible, sinon méprisant pour le lectorat. Les lecteurs ne sont pas des oies qu’on gave avec ce qu’on a sous la main, leurs exigences sont les mêmes, qu’ils préfèrent l’odeur de l’encre ou les écrans.

Guillaume Goutte
secrétaire de la section des correcteurs du SGLCE-CGT

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